Pour
Evelyne CHARPENTIER et Jean ANTONINI
... non
les mots
ne font pas l’amour
ils font l’absence
si je dis « eau », boirais-je ?
si je dis « pain », mangerais-je ?
ce soir dans ce monde
extraordinaire silence, que celui de cette nuit !
ce qui se passe avec l’âme est-ce qu’on ne la voit pas
ce qui se passe avec l’esprit est-ce qu’on ne le voit pas
d’où vient-elle cette conspiration d’invisibilités ?
aucun mot n’est visible...
Alejandra PIZARNIK (Ce soir, dans ce monde)
Poème trouvé et mis en ligne par Agnès SCHNELL
Théorie des cordes
Y a-t-il supersymétrie
entre vivant et mort ?
24.02.2013 8:33 PM
Les
injonctions d'écriture me viennent désormais un peu plus fort de l'extérieur,
elles prennent appui sur certaines circonstances ou procèdent , à mon
insu, de soudaines apparitions.
Celle
d’Evelyne par exemple, que je n’avais abordée que virtuellement jusqu’ici.
Mais elles ne coulent pas toutes en
sources claires. Loin
s’en faut.
Elles
sinuent dans l'embarras banal des vies alentour. Ce
sont ces vies de proximité agrippées par les soucis du siècle et les douleurs modernes. Celles
où l'on dit couramment : - Il y a plus malheureux que lui ou qu'elle...
La
plainte n'est pas stockable. C'est un fait. Elle prendrait trop de place.
Comment
entre-t-on et sort-on dans la vie des
gens ?
Par
la porte ou la fenêtre ? Par la cheminée ou le câble ?
Sans
rien faire de spécial ?
Simplement être là. Au bon moment, au bon endroit,
dans une certaine disponibilité, une ouverture, une confiance non vérifiable
a priori. Surprendre le risque.
Un chèque en bleu… devant la lampe.
Solder
de tout compte par réflexe d’éloignement
après un temps parfois
trop compassionnel. La fusion est toujours dangereuse.
En attendant, revoir la donne d’arrivée et de départ sans complaisance.
Revenir
doucement à ce que l'Ami Jean me racontait hier, en soirée, à propos
d'écriture. Revenir
à cette nécessité de faire une place un peu stable au plaisir
durable du lecteur.
Ce
n'est pas simple. On ne lâche pas facilement les trouvailles,
cet or
fallacieux des recherches dans l'intime, le sien ou celui des autres.
La
psychologie n'a pas bonne presse, d’autant plus qu’elle s’insinue partout, sous
le prétexte audacieux de santé publique
pour apprendre aux « gens » à « gérer » leurs
émotions, leur montrer comment ne pas
les imposer à la grande mécanique de rendement et d’enrichissement
sélectif planétaire. On peut facilement la
récuser aujourd’hui, au nom de la
génétique ou de la physique. Elle n’est pas résorbable.
Comme
la poésie, elle empêche parfois de cerner maladivement l'image en 3 D du Réel. -Le Réel est un Monsieur disait un Médecin
parlant d’un microbe…
La
Poésie appartient à la 7° dimension, les trois précédentes ne sont pas
d'emblée à portée de l'esprit.
Seuls
les génies conceptuels et les fous peuvent anticiper de tels héritages.
Pour
le commun des lecteurs, les eaux d'internet sont des évaporations intempestives muées en fossiles précoces.
Il
suffit de se pencher sur l'écran pour trouver à chaque clic, le moulage d'une forme
de présence elliptique involontairement incrustée dans la suspension des
regards.
Le
manque de rareté a sédimenté au fur et à mesure et couche après couche, le désir et la
curiosité.
Le
dictionnaire a maintenant un rival bien
supérieur dans le registre de l’illimité , de « l’interminable »
dirait Bernard Noël, avec son potentiel
de métamorphose sans géomètre définitif
ou attitré.
Le
Délire est accessible à tous. 24/24.
Serge Tisseron prétend dans l’un de ses derniers livres, qu’internet peut
remplacer la présence muette du psychanalyste
conçu peut-être comme un
mur de rebonds à l’épreuve de la neutralité parfois, ( Quoi qu’on en dise ou
déduise...) contondante...
L’inconscient
s’accommode de toutes les hypothèses, à l'instar des dieux de rescousse, il s’implique un peu à tort et à travers. Sa
boussole est très magnétique mais imprévisible. Il est un furieux passe-muraille pour les idées
trop compactes.
Si la psychanalyse a été débordée dans
ses mythes fondateurs et ses dissidences, son
déclin à mes yeux n’est que très relatif. La
mode actuelle des coachs me paraît bien plus redoutable. N'importe quel bidouilleur d'influence peut visser sa plaque. La crédulité se commercialise à gogo. Le supposé savoir ne l’est plus. Eux savent à votre place ce qui est good
for you, et ils vous recomposent des pieds à la tête au service de sa majesté
l’apparence en toute conformité aux normes du marché.
Mais
je divague là. Car je suis trop vieille et trop rebelle pour accepter le prêt à plaire
et à penser.
Je
ne peux m’empêcher de déplorer sans aucune once d'éploration toutefois, à la suite de cet auteur Lacanien dont j’ai perdu le nom, dénonçant le fait que « L’enfant
à tout âge est appareillé d’une multitude d’appareils industriels qu’il a
dans la poche, le coupant de la réalité, du jeu, de l’angoisse. Il devient
insituable, inéducable, inenseignable. Sera-t-il analysable ?
Mais
je ne suis peut-être pas aussi pessimiste. L’aigritude peut rider prématurément
et il me faut garder le plus possible un sourire non grimaçant.
Celui
de Jean et d’Evelyne me plaît.
La
parole libre, on le sait maintenant, s'emmure elle -même en attendant la
survenue de géologues inventifs qui ne prélèveront de toutes les façons, qu'une
simple carotte, faute de pouvoir avaler toutes les montagnes ( Russes ou
pas) et leurs soubassements secrets.
Enfants
nous étions fascinés par le test du bleu de méthylène. Introduit dans une
infractuosité de paysage, à la recherche d'un flux aux origines encore
inconnues.
Il
procurait ainsi un suspens jouissif et
anxieux, s'agissant de savoir à quels endroits nouveaux, il pouvait rebleuir et
révéler le parcours opportuniste d'une
manne à préserver.
L'écriture
procède pareillement, je le crois. C'est un peu de bleu chimique additionné à
la patience.
Ma
seule priorité maintenant est de mettre une petite idée vive devant l'autre et
de les colorer avec l'humeur du moment. Dans la temporalité d’un haïku me
conviendrait bien mais j’ai encore besoin de « gravité ». Le
personnage de Jean voudrait s’en affranchir. Mais il est beaucoup plus sage que
moi, et bien moins sérieux que je ne l’imaginais la première fois que je l’ai
encontré.
Je
n’oublierai pas la question que l'Ami se
posait pour son personnage de livre.
Un
bon haïku se mémorise bien a –t-il dit aux enfants à l’Atelier d’hier.
C’est
un très bon principe je crois. Charles Juliet dit un peu la même chose, autrement. « J’écris
mes poèmes en marchant »… « Le poème est un rapt »…
Une
bonne phrase doit tenir dans une respiration normale, sans forçage, d’une façon
naturelle, dans l’élégance la plus vive. Il y a de la félinité à retrouver dans
toute écriture. Le mouvement trouve sa vérité dans sa simplicité et une
intention loyale. Une émotion, une idée, un geste parfaitement ciblé et
contemporain. C’est un art très difficile. Des brouillons et des ratures sont
inévitables. Même pour Roland Barthes...
Les
propos nourrissants de Jean m’ont fait penser après coup une histoire entendue
dans la voix de Bernard Noël - je pense à lui beaucoup en ce moment- Il raconte
quelque chose d’insolite à propos du
Paradis Perdu d'Adam et d'Eve. La chute d’Adam et Eve n'a rien à voir avec un
vol de pomme et la perversion d’un reptile.
C'est
la tentative de s'emparer de l'arbre de la connaissance qui aurait déclenché la
légendaire colère du Dieu ( Celui probablement très superstitieux de l'époque ).
Ce n'est finalement pas un scoop. Les chasseurs de têtes existent bel et bien aujourd’hui.
Dieu
aurait dû être beaucoup plus prudent et procédurier en prévention de la
concurrence.
Quand
on veut rester au gouvernement d'autrui, il faut donner quelques graines à planter
dans leur jardin sans taxer leurs récoltes. Mais le souhaitait-il vraiment, en supposant qu'il
ait un cerveau pour ce faire. La masochisme divin m’a toujours paru un peu
suspect.
L'entonnoir
des savoirs avale donc sans laisser respirer, et à longueur de siècles, toutes
les certitudes. Avec les moyens vidéos, nous les conservons au frigo virtuel
beaucoup plus longtemps. On a sans doute déjà inventé de nouveaux métiers du
type Assistants Techniques au Purgatoire. Pour l’Enfer , il y a nettement moins
de prétendants, quant au Paradis, les niveaux de compétences des candidats
laissent à désirer.
L’entonnoir
des connaissances à donc, on s’en aperçoit, un goulot plus petit. On met
beaucoup de temps et d’énergie à laisser s'égoutter le nectar qui soigne la
peur de souffrir et de disparaître. En guérit-on ? Rien n’est
moins sûr…
Chacun
doit fabriquer son alambic de fortune, après avoir consacré quelques
éternités répétitives à repérer dans un silo de roches concassées, le
bruit de promesse de vague ,
encore ténu que réactive toute
parole un peu déferlante ,et qui nous rend sans cesse plus humides
et vulnérables.
Il
n’y a rien de plus sec que celui ou celle qui ne veut pas entendre…
La
crainte d' être dépossédés ou noyés de lassitude est la première difficulté.
La
complication est partout, elle est sans domicile fixe, il faudrait
élaguer les branches du langage
singulier avec des moyens beaucoup plus rapides et puissants,
ou parvenir à supporter bien davantage les effets d'enchevêtrements. Car il est
banal et légitime de vouloir extirper le
sens dans les tensions bruyantes.
On
prend un mot pour un autre, un être pour qui il n'est pas, on se targue
mutuellement de chercher à suivre le flux de chaque voix, sans oser
renoncer. Mais l'attention à chaque fois s'y épuise, et chacun boit ce qu'il
peut sans filtrer suffisamment des caillots de dissemblance.
Pour
parler d’Evelyne, je vais puiser dans le mirage devenu concret et plaisant.
Sans
m’avertir à l’avance, elle est venue. Elle est restée dans l’anonymat jusqu’à
un certain moment de notre soirée de lecture. Une jeune femme, sa fille,
l’accompagnait. Les échanges trop courts et l’embrassade finale ont auguré une
suite fructueuse. Il ne faut pas refuser
ce qui vient même dans l’assurance d’une distance de points d’ancrage
géographiquement contrariés.
Marie-Thérèse PEYRIN, Dimanche 24 Février 2013.